Du Son... au Verbe Divin

Dans l’étape précédente, nous avons constaté combien le concept théologique de la “Parole Divine” créatrice était présent dans la tradition biblique, et également dans la tradition védique, qui elle-même est ensuite reflétée dans les Textes Sacrés des principales religions orientales.
Si nous nous arrêtons encore un moment en Orient, nous pouvons observer combien le concept de la Parole divine (Vāc) qui amène l’univers à l’existence est entremêlé à une autre idée religieuse, c'est-à-dire à celle du “son primordial” (nâda) qui est à l'origine du cosmos: « Tout ce qui est perçu comme son, disent les textes, est shakti, c'est-à-dire Puissance divine. Ce qui est dépourvu de son est le principe lui-même. » (J. Chevalier, A. Gheerbrant. Dictionnaire des symboles, Paris, Robert Laffont, Jupiter, 1982, 897-898).
Dans cette perspective religieuse, le son de la syllabe sacrée "Om" est considéré comme une manifestation de la force spirituelle divine, un incessant “écho” du son primordial qui a manifesté le “créé” et, en tant que tel, l'Om est aussi entendu comme symbole de la réalité indifférenciée sous-jacente à ce monde phénoménal :  « Cette syllabe (Om) en réalité est Brahman, cette syllabe est la chose suprême » (Katha-Upanishad, 2,16).
On considère qu’ensuite, de la syllabe sacrée Om descendent n’importe quelles autres paroles :
« Comme s'agglomèrent toutes les feuilles enfilées sur une tige qui les traverse, ainsi toute parole se fond dans le son Om. Le son Om est tout cet univers »
(Chandogya-Upanishad, 6,23,4).
Considérant ensuite que dans le sanscrit la lettre “o” est fondamentalement « une diphtongue résultant phonétiquement de la contraction des voyelles “a” et “u” qui, prononcées rapidement, donnent le son de “o” » (Cf. M. e J. Stutley, Dizionario dell'Induismo. Roma, Ubaldini, 1980, p. 312)... la syllabe sacrée Om nous met donc en contact avec l'autre syllabe sacrée par excellence, "Aum", dont la célébration implique la totalité de l'appareil vocal humain, renfermant symboliquement en elle tous les sons, dans la vibration sacrée qui en est la synthèse.
Dans cette vision théologique, les syllabes sacrées Om et Aum représentent donc le son primordial qui manifeste la force spirituelle-créative de Brahman*, symbolisant sa présence divine dans la “māyā” (terme sanscrit qui signifie “illusion, tromperie, apparence”), c'est-à-dire dans la dimension limitée dans laquelle nous nous trouvons.
De plus, si nous mettons en relation ce concept avec ce que nous avons vu concernant l’idée théologique de la Parole divine (Vāc) créatrice (Cf. « Un concept religieux “transversal” : c’est la Parole divine qui amène toute chose à l'existence »)... nous pouvons comprendre aussi comment le mantra Om se trouve célébré en Orient en tant que « expression sonore indifférenciée qui représente l'essence verbale subtile de l'univers.» (M.Delahoutre, Grande Dizionario delle religioni, Cittadella Editrice, Assisi 1990, p.1259).

Eh bien... après avoir rencontré ces deux syllabes orientales sacrées, Aum et Om, représentations symboliques de la “totalité sonore” et “de l'essence verbale subtile de l'univers”, nous pouvons à présent faire un retour vers la tradition chrétienne, en “débarquant” à nouveau dans le prologue du quatrième Évangile.
Même là, bien que ce soit dans un contexte théologique évidemment différent, nous retrouvons le concept de “l’essence verbale” divine : il s’agit du Verbe (en grec Lógos) de Dieu, c'est-à-dire le Christ qui, nous dit l'évangéliste Jean, “était avec Dieu et le Verbe était Dieu” (Jn 1,1), et “tout a été fait par lui” (Jn 1,3).
Nous nous trouvons ainsi face à cette conception néotestamentaire fondamentale qui, outre le fait de constituer la base de la théologie trinitaire, sert aussi d’ “embouchure” à l'ancienne tradition biblique de la Dābār Jahvè, la Parole de Dieu qui amène toute chose à l'existence (Cf. Gn 1).
Le Verbe johannique nous parle en effet de la médiation que Christ opère entre le Dieu transcendant et l'univers dans lequel nous nous trouvons, en tant que Parole divine qui remplit la fonction d’agent de cette création qui, dans la perspective biblique, est substantiellement un événement sonore, qui “retentit” dans l’insistant “Dieu dit” scandé à 7 reprises (nombre qui signifie bibliquement "totalité") au premier chapitre de la Genèse (Cf. Gn 1,3.6.9.11.14.20.24)... et qui est à l’origine de la manifestation de tout "ce qui existe" (Jn 1,4).

Dans ces deux dernières étapes, nous avons donc relevé diverses “assonances“ entre deux planètes religieuses théologiquement différentes, en observant, dans une rapide succession :
- La conception orientale du “Seigneur de la création” (Prajapati) qui fait éclore tout ce qui existe par ce son primordial qui résonne dans les syllabes sacrées Om et Aum...
- La conception biblique du Dieu d’Abraham, Isaac et Jacob, que nous voyons, dans la Genèse, accoucher de l'univers par le son de cette Parole divine que l'évangéliste Jean reconnaît théologiquement dans le Christ, désigné par le terme grec Lógos (Verbe).

À présent... nous avançons dans notre parcours sur le “rail” de la Parole divine, en focalisant notre attention sur une parole fondamentale de la tradition biblique, c'est-à-dire "Amen", vocable qui... comme par hasard :-) ... est phonétiquement assonant avec la syllabe sacrée Aum.


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P.-S. - Pistes d’approfondissement :
Sur mon blog "Journal d’un moine, disciple de Swami Roberto" :
- L'ex-chaînon manquant
- Ce qui est...
- Au commencement
- Foi « créative »
- Une lampe à mes pieds
- Son unique et tout à fait particulier
Sur mon blog (en italien) “Sui sentieri del Vangelo di Giovanni” :
- Gv 1,2-3
- Gv 1,3-4 (Nota esegetica)
- Il Logos nel prologo giovanneo
- Dal Logos della filosofia... al Logos di Gv
- Cristologia giovannea del Logos
- Gli antecedenti del Logos giovanneo

* Glossaire:
- Brahman. Dans l’Hindouisme, Brahman est l'absolu, immuable et éternel, la Réalité suprême et non dualiste du Vedanta. Dans son abstraction, l'idée de Conscience absolue est inconcevable rationnellement. À la moindre tentative de concrétisation, elle devient Īśhvara. Brahman est un état de transcendance pure, il ne peut donc être formulé ni par la pensée ni par la parole. (Cf. K. Friedrichs, Dictionnaire de la sagesse orientale, Paris, Robert Laffont, 1989, p. 81)
- Upanishad. En sanscrit, le terme Upanisad (upa: “proche de”, ni: “en bas”, shad: “être assis”), signifie  “être assis aux pieds du maître pour écouter ses enseignements”. Les Upanishad forment la dernière partie des śruti (Védas) et sont la principale base des doctrines du Vedānta, ensemble de spéculations philosophiques qui concluent les Védas. (Cf. K. Friedrichs, Dictionnaire de la sagesse orientale, Paris, Robert Laffont, 1989,  p. 624)
- Vāc. Dans la tradition védique, le terme sanscrit Vāc, (ou également Vach, Vak) en tant que substantif a la signification de "parole", "voix", ou aussi "son" ; comme nom, Vāc « est la shakti (principe féminin) de Prajapati, le “Seigneur de la création”, qui se sert d’elle pour créer l'univers : c’est à travers la parole divine que les éléments viennent au monde ». (Dizionario delle religioni orientali, Garzanti Editore 1993, Vallardi)
- Veda. En sanscrit, le terme Véda signifie “sapience”. Les Védas constituent la révélation (śruti, littéral. “audition”). Selon la tradition hindoue, ils auraient en effet été rédigés par les Rishis (poètes inspirés, voyants) suite à une révélation divine (ou autorévélation, selon la tradition plus orthodoxe) obtenue lors d’un état de profonde méditation. (Cf. K. Friedrichs, Dictionnaire de la sagesse orientale, Paris, Robert Laffont, 1989, p. 640-641)
- Vedānta. Le Vedānta (terme qui en sanscrit signifie “fin des Védas”) est constitué par les considérations finales contenues dans les Upanishad. Ces textes incluent des réflexions relatives à Brahman et à l'Ātman. Bādarāyana les regroupe dans les Vedānta.  (Cf. K. Friedrichs, Dictionnaire de la sagesse orientale, Paris, Robert Laffont, 1989, p. 641). Le Vedānta désigne tant la littérature des Upanishad, qui effectivement termine le Véda, que le système ou l’école (Darśana) qui se fonde sur les conclusions tirées des Upanishad. (M. Delahoutre, Grande Dizionario delle religioni, Cittadella Editrice, Assisi 1990, p.2226)