« Afin que tous soient un »

Parmi les innombrables mantras qui font partie des diverses traditions religieuses orientales, il y en a qui ont atteint une importance particulière... comme c’est le cas des "mahāvākya", c'est-à-dire de certaines grandes sentences tirées des Upanisad*.
L’une d’elles est l'affirmation “Tat tvam asi” (“Tu es Cela”, “Tu es cela”), un mantra sanscrit qui est célébré par les croyants avec l'aspiration de s’unir à Brahman*, c'est-à-dire au Dieu absolu, éternel et immuable... et, comme l’écrit par exemple le théologien K. Friedrichs, «le disciple, qui se reconnaît comme Ātman dans ce “Tu”, obtiendra spontanément l’Illumination, puisque l'Ātman est identique à Brahman »  (Cf. K. Friedrichs, Dictionnaire de la sagesse orientale, Paris, Robert Laffont, 1989,  p. 580).

Ce type d’interprétation s’intègre dans la perspective théologique qui fait référence à l’une des figures de proue de la tradition religieuse indienne, c'est-à-dire Shankara (en sanscrit, Śańkara) (env. 788-820), qui élabora la conception selon laquelle Brahman (l'Absolu de Dieu) et l'Ātman (le Soi individuel du croyant) ne sont pas considérés comme “deux réalités distinctes ou destinées à le rester” (M.Delahoutre, Grande Dizionario delle religioni, Cittadella Editrice, Assisi 1990, p.17).
En s’occupant de cet argument, qui est l’un des pivots de la doctrine philosophico-religieuse indienne connue comme l’ "advaita" (“non-dualisme”), le célèbre théologien chrétien Hans Küng a observé cependant que dans la "lecture" de nombreux Occidentaux existe une imprécision significative, étant donné qu’en Occident, “le système omnicompréhensif de Śańkara a souvent été présenté, de manière erronée, comme la théologie indienne par excellence” (Cf.Hans Küng, "Cristianesimo e Religioni Universali", Mondadori 1986, p.240).

En effet, outre Śańkara dans le système philosophico-religieux de l'advaita il existe aussi une autre figure fondamentale, celle de Rāmānuja (ca 1056-1137) et, en comparant ces deux perspectives théologiques différentes, Küng écrit : « En regard du panthéisme de Śańkara, de son absolue, pure “absence de dualité”, Rāmānuja fait justement une “doctrine de l'unité qualifiée” théistiquement, tout aussi omnicompréhensive, mais en même temps différenciée.
Après avoir observé que dans sa vision Rāmānuja distingue Brahman (Dieu) de l'Ātman (le Soi individuel du croyant) et aussi du monde... Küng parvient à la conclusion que la vision chrétienne pourrait se situer dans la ligne de Rāmānuja, et il écrit : “La théologie chrétienne attribue à Dieu un rapport fondamental avec le monde, et au monde une participation fondamentale à l’être divin, à l’être dynamique même qu’est Dieu : Dieu est immanent au monde justement parce qu’Il le transcende. Le monde a une réalité, non indépendante, ni même seulement apparente, mais plutôt relative. Identité dans la dualité (dans le sens de Rāmānuja) (Cf.Hans Küng, idem, p.241).

Cette dernière perspective théologique, qui distingue Dieu du “Soi individuel” du croyant, peut donc permettre d’entendre le mantra “Tat tvam asi” (comme aussi le similaire "So 'ham" qui en sanscrit signifie "Je suis Lui/Cela") dans un sens également plus apparenté à l'aspiration du croyant chrétien d’atteindre l'unité avec Dieu, entendue comme une “communion dans la diversité”.

À ce propos, dans l'univers théologique chrétien, l'aspiration à l'unité avec Dieu est particulièrement mise en évidence dans la perspective christologique qui tire son origine de l’Évangile de Jean.
Dans le 17e chapitre johannique nous trouvons en effet Jésus qui s’adresse au Père en Le priant : “afin que tous soient un, comme toi, Père, tu es en moi, et comme je suis en toi, afin qu'eux aussi soient en nous, pour que le monde croie que tu m'as envoyé.” (Jn 17,21).
L'évangéliste utilise ici le terme “un” pour indiquer l’immanence réciproque entre le Fils et le Père qui caractérise le Quatrième Évangile, et qui, dans le langage théologique est définie par inhabitation.
Ce terme théologique désigne soit la relation divine entre le Père et le Fils, soit la relation entre le Fils et le croyant, soit la communion des croyants avec le Père et le Fils.
Dans tous ces cas, il s’agit d’une relation de “présence intérieure” dans laquelle les “personnes” restent deux, mais en une communion si pleine qu’elle les fait être “un”... et que c’est donc dans cette direction que doit se tourner l'aspiration du croyant chrétien, qui a pour but  de réaliser dans sa vie l' "unité"  divine qui est l’objet de la “prière sacerdotale” de Jésus (Cf. Jn 17,1-26).

Cette vision théologique particulière qui caractérise l’Évangile de Jean, tire son origine de l'amour avec lequel le Père aime le Fils, Lequel à son tour aime le Père, faisant en sorte qu’Ils soient “un” (Cf. Jn 17,21) sans que, cependant, ne disparaisse leur individualité respective.
De façon analogue, les disciples de Christ aussi sont appelés... par la pratique du divin “commandement de l'amour” (Cf. Jn 13,34)... à entrer dans cette “unité” divine, sans que jamais ne disparaisse l'individualité du croyant, comme être unique.
En ce sens, en est l’illustration une image formulée par l’un des érudits johanniques les plus connus, le Prof. Robert Kysar, qui écrit que ce rapport d’unité du disciple avec Christ « pourrait être représenté dans la conformation du nombre “8”. Si on la regarde selon une certaine perspective, il s’agit d’une ligne continue dans son unité.
Le Temple Sacré d’Anima Universale,
à l’intérieur du Monastère de Leini (Turin)
Vue selon une autre perspective, il s’agit de deux cercles. Chacun des deux est indépendant de l’autre. Toutefois, les deux se touchent en un point. Donc, l’unité existe mais aussi une individualité distinctive. On pense, en survolant, à une série de nombres “8” tous composés d’une ligne continue, mais qui forment une série de cercles singuliers disposés l'un à côté de l’autre. Une telle figure imaginaire pourrait représenter la conception johannique de la communauté chrétienne : l'unité dans la diversité.» (R.Kysar, Giovanni. Il Vangelo Indomabile, Ed.Claudiana 2000, p.175).

Avec cette "figure", à la fois numérique et théologique, qui "habite" dans mes pensées… il m’est ainsi facile d’imaginer entrer dans la forme du huit sacré du Temple d’Anima Universale où je rencontre les fidèles qui… en accueillant les enseignements de Swami Roberto... peuvent réaliser dans leur vie la communion avec Dieu en devenant les "pierres vives" de la communauté chrétienne-ramirique, "incarnant" ainsi, également, l’esprit de la prière adressée par Christ au Père  "afin que tous soient un, comme toi, Père, tu es en moi, et comme je suis en toi, afin qu'eux aussi soient en nous" (Jn 17,21).


Suivant : La prière contemplative

Allez au GPS


P.-S. - Pistes d’approfondissement :
Sur mon blog "Journal d’un moine, disciple de Swami Roberto":
“Nous sommes Un”
“Au « septième ciel »”
“Pairs et impairs”
"Être « Un en Dieu »"
"« Levage » intérieur"

Sur mon blog (en italien) "Sui sentieri del Vangelo di Giovanni": Gv 17,21 

* Glossaire :
- Brahman. Dans l’Hindouisme, Brahman est l'absolu, immuable et éternel, la Réalité suprême et non dualiste du Vedanta. Dans son abstraction, l'idée de Conscience absolue est inconcevable rationnellement. À la moindre tentative de concrétisation, elle devient Īśhvara. Brahman est un état de transcendance pure, il ne peut donc être formulé ni par la pensée ni par la parole. (Cf. K. Friedrichs, Dictionnaire de la sagesse orientale, Paris, Robert Laffont, 1989, p. 81)
- Upanisad. En sanscrit, le terme Upanisad (upa: “proche de”, ni: “en bas”, shad: “être assis”), signifie  “être assis aux pieds du maître pour écouter ses enseignements”. Les Upanishad forment la dernière partie des śruti (Védas) et sont la principale base des doctrines du Vedānta, ensemble de spéculations philosophiques qui concluent les Védas. (Cf. K. Friedrichs, Dictionnaire de la sagesse orientale, Paris, Robert Laffont, 1989,  p. 624)
- Veda. En sanscrit, le terme Véda signifie “sapience”. Les Védas constituent la révélation (śruti, littéral. “audition”). Selon la tradition hindoue, ils auraient en effet été rédigés par les Rishis (poètes inspirés, voyants) suite à une révélation divine (ou autorévélation, selon la tradition plus orthodoxe) obtenue lors d’un état de profonde méditation. (Cf. K. Friedrichs, Dictionnaire de la sagesse orientale, Paris, Robert Laffont, 1989, p. 640-641) 
- Vedānta. Le Vedānta (terme qui en sanscrit signifie “fin des Védas”) est constitué par les considérations finales contenues dans les Upanishad. Ces textes incluent des réflexions relatives à Brahman et à l'Ātman. Bādarāyana les regroupe dans les Vedānta. (Cf. K. Friedrichs, Dictionnaire de la sagesse orientale, Paris, Robert Laffont, 1989, p. 641). Le Vedānta désigne tant la littérature des Upanishad, qui effectivement termine le Véda, que le système ou l’école (Darśana) qui se fonde sur les conclusions tirées des Upanishad. (Cf. M.Delahoutre, Grande Dizionario delle religioni, Cittadella Editrice, Assisi 1990, p.2226)